Les référentiels de compétences sont-ils dépassés ?

Soft skills, mad skills, référentiels compétences, etc. Depuis 2008 (accords de Deauville entre le Medef et les syndicats), on envisage la valeur professionnelle d’un individu au travers d’une grille de compétences censée mettre en lumière son potentiel. Le collaborateur est-il créatif ? Bon communiquant ? Fait-il preuve d’initiatives ?...

Dans la réalité, ces compétences individuelles ont leurs limites. En effet, une entreprise c’est d’abord un collectif de travail, comme une équipe sportive. Or, on sait bien qu’une équipe n’est pas seulement une somme d’individualités, si performantes soient-elles, mais un groupe uni par une expérience commune. Il ne suffit pas d’aligner Lionel Messi, Cristiano Ronaldo et Kylian M’Bappé pour que le score s’envole. Encore faut-il leur apprendre à jouer et interagir ensemble pour créer un contexte dans lequel leurs compétences individuelles puissent s’exprimer.

En d’autres termes, si un individu s’avère compétent dans un contexte et un mode relationnel donné, les mêmes qualités peuvent aussi bien être inhibées par un autre environnement social…

La « pairagogie », ou la compétence envisagée à l’échelle du groupe

Pendant la crise Covid, une étude a été menée sur 63 entreprises par l’organisme de recherche Sol France. Elle démontre, preuves à l’appui, l’importance du co-apprentissage et de l’entraide en situation de perte de repère.

C’était Peter Senge, dans les années 90, qui avait le premier pointer l’idée « d’organisation apprenante ». Il s’agissait alors de poser l’importance de la vision partagée et de l’apprenance en équipe pour tendre à la réussite professionnelle. Se fédérer autour d’une identité commune favorise en effet l’échange et avec lui l’éclosion de nouvelles idées ; finalité ultime de toute forme d’apprentissage.

Il se trouve que la pairagogie répond parfaitement à cette recherche d’organisation apprenante. Elle consiste ainsi à permettre, au sein d’une entreprise, un dialogue d’égal à égal entre les pairs dans un objectif de co-développement professionnel. Orchestré par un facilitateur, dont le rôle est essentiel, l’échange inter patres renforce les sentiments de reconnaissance et d’appartenance à un groupe et stimule l’intelligence collective.

La pairagogie se situe aux antipodes de la verticalité. Ici, le collectif permet d’ajuster en douceur les pratiques de tel ou tel de ses membres grâce à l’idée admise d’égalité. Et l’on constate souvent que c’est le vilain petit canard de l’équipe (celui dont le profil tranche ; dont le style détonne) qui constitue une variété utile pour corriger les orientations de tous. Dans ce cadre, les compétences individuelles trouvent en effet un lieu d’expression privilégiée puisqu’elles sont immédiatement sanctionnées par des égaux.

Aider une équipe à mieux fonctionner, faire évoluer la culture d’organisation, favoriser l’entraide entre services, innover ou résoudre des problématiques communes, c’est l’apanage d’un dialogue pairagogique réussi ; cette nouvelle « compétence » qui n’entre pour l’instant dans aucune grille.

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