Parce que les neurosciences sont à la mode, on aurait tendance à croire, peut-être, que la recherche sur le fonctionnement de notre cerveau est une préoccupation récente. Pourtant, l’effet Zeigarnik qui nous intéresse ici a été découvert il y a presque 100 ans, en 1927.
Baptisé ainsi en hommage à la psychologue russe Bluma Zeigarnik, il nous apporte une vérité contre-intuitive sur la manière la plus efficace d’ancrer les nouvelles connaissances dans notre mémoire à long terme. L’objectif en question constituant la finalité de toute formation, il intéresse évidemment l’ensemble des formateurs.
L’effet Zeigarnik, mode d’emploi
Alors étudiante à Moscou (elle est l’élève de Kurt Lewin), Bluma Zeigarnik s’intéresse au mécanisme mental qui permet aux serveurs des cafés de mémoriser sans erreur des commandes longues et complexes, pour les oublier sitôt les clients partis. Elle a rapidement l’intuition de ce que l’on nomme aujourd’hui la « mémoire de travail » dont sa théorie, l’effet Zeigarnik, doit nous permettre de tirer le meilleur parti.
La mémoire de travail
Qu’il s’agisse d’un livre dont on n’a pas encore atteint la dernière page, de la série que l’on suit de semaine en semaine ou d’une tâche professionnelle demeurée en suspens, notre cerveau stocke les informations dans notre mémoire de travail et les rappelle fréquemment à notre attention pour nous permettre d’accomplir au bout du compte la tâche commencée (en terminant le livre, la série ou la tâche en question).
Comment ça marche ?
L’étude de Bluma Zeigarnik prouve que nous conservons paradoxalement une mémoire 1,9 fois supérieure des tâches inachevées que de celles que nous avons déjà accomplies !
Les tâches inachevées créent dans notre cerveau une tension qui ne se relâche que lorsque lesdites tâches sont accomplies. Or, cette tension cognitive, plus elle se prolonge, plus elle pénètre en profondeur et marque notre mémoire à long terme. Pour maintenir dans nos pensées la tâche concernée, notre cerveau emploie en effet un système de répétition active qui crée une série de traces identiques, comme une même leçon que l’on repasserait un très grand nombre de fois. A la faveur de cette répétition active et par le jeu de la « plasticité cérébrale » (cette capacité innée de notre cerveau de réorganiser à tout moment nos connexions neuronales d’après l’usage que nous en faisons), de nouveaux réflexes et schémas de pensée se dessinent d’eux-mêmes.
Enfin, lorsque la tension cognitive se décharge, c’est-à-dire lorsque la tâche est finalement accomplie, notre cerveau l’interprète comme une détente agréable qui incrémente spontanément notre mémoire émotionnelle ; se créant une seconde voie d’accès à notre mémoire à long terme !
L’effet Zeigarnik en formation
Le but du jeu serait-il donc, dans les salles de formation, de s’arrêter systématiquement à trois slides de la fin du module pour laisser un maximum de tâches inachevées ?
Non, car comme la capacité de stockage dans notre mémoire de travail est limitée, les tâches inachevées engendrent du stress et leur multiplication perturbe nos capacités de concentration en créant une charge mentale superflue.
Pourtant, cet effet Zeigarnik qui consiste à différer l’accomplissement d’une tâche pour augmenter notre potentiel de mémorisation peut s’avérer un outil pédagogique prodigieux pour les formateurs capables de le mettre en œuvre à bon escient.
Concrètement, il faut réussir à ménager une forme de suspense sans tomber dans le travers du multi-tâches. Histoires, activités, exercices : il faut être capable de délivrer l’information suffisamment progressivement pour que la tâche ne soit pas trop rapidement accomplie et laisser la mémoire de travail faire son œuvre. Ménager des pauses et/ou intervalles au sein d’un même module permettra ainsi à la curiosité insatisfaite des apprenants de « ruminer » plus longtemps les éléments de la formation.
Un autre avantage de l’effet Zeigarnik c’est qu’il lutte de lui-même contre la procrastination. Le formateur qui accompagne ses apprenants dans les premières phases d’une action et/ou démarche quelconque suscite ainsi naturellement chez l’apprenant le besoin de terminer l’action en question. Pourtant, toujours pour éviter une situation de stress (improductive par définition), il est bon de dérouler au préalable la succession des tâches qui permettront la réalisation complète de l’action envisagée en indiquant clairement à l’apprenant à quelle étape du processus il se situe. A chaque fois qu’il atteindra un nouveau palier, l’apprenant déchargera un peu de sa tension cognitive tout en restant orienté vers l’objectif final. De cette façon, le formateur sollicitera efficacement la mémoire de travail sans pour autant la saturer. Il accroîtra également la motivation de ses apprenants qui auront par eux-mêmes le désir de terminer l’action engagée pour décharger rapidement la tension générée.
Vous avez tout compris ?... Alors à vous de jouer !