Toutes les études le prouvent : le monde de l’entreprise est en mutation. Dès lors, repousser l’âge de la retraite ne peut être sérieusement envisagé sans réfléchir en même temps à l’adaptation des seniors (55/64 ans) à cette mutation. Les nouveaux modes de travail, les nouvelles technologies nécessitent en effet de nouvelles compétences et supposent de la formation continue pour les acquérir.

La question (bouillante) de la réforme des retraites passe donc en partie par la question de la formation des seniors, que nous nous proposons d’aborder ici.   

Quel constat ?

Actuellement, les seniors, dont la formation initiale est déjà la plus faible, constituent la population d’actifs ayant le moins recours à la formation continue. Chaque année, deux seniors sur trois ne suivraient ainsi aucune formation (contre un actif sur deux, en moyenne, pour l’ensemble des tranches d’âge).

Cette statistique pose donc d’emblée un problème puisque, les actifs en fin de carrière ne se formant pas suffisamment, ils sont de moins en moins adaptés au monde professionnel et par-là même moins employables. L’idée n’étant pas d’allonger la durée du chômage mais bien la durée de cotisation, il conviendrait en premier lieu de remédier à cette carence de formation pour sécuriser l’employabilité des seniors…

A qui la faute ?

Si les seniors sont sous-représentés en formation, est-ce parce qu’ils n’y ont pas recours ou parce qu’ils n’y ont pas accès ? En d’autres termes ; est-ce que les seniors boudent la formation (manque d’appétence) ou bien est-ce la formation qui les boude (défaut d’accessibilité) ?

Le rapport d’information du Sénat sur l’emploi des seniors ne laisse pas trop de doutes à ce sujet. Il tend à démontrer que non seulement l’offre de formation n’est globalement pas adaptée à leurs besoins spécifiques, puisque les formations suivies n’augmentent pas l’employabilité des seniors dans les proportions habituelles, mais que les employeurs rechignent le plus souvent à l’envoi en formation des salariés les plus âgés. Même parmi les demandeurs d’emploi, ils seraient encore marginalisés dans l’accès à la formation.

Cela serait dû à une représentation défavorable des seniors, chez les RH et les managers. Bien que la discrimination basée sur l’âge soit théoriquement interdite, les clichés ont la vie dure et beaucoup considéreraient encore que les capacités d’apprentissage décroissent avec l’âge, que la baisse de productivité des seniors est structurelle et qu’il est inutile de supporter le coût d’une formation pour un collaborateur approchant l’âge de la retraite…

Certains seniors partagent même cette vision dépréciative et vivent leur âge comme un complexe.

Quelles réponses apporter aux employeurs réticents ?

Le projet d’index porté par le gouvernement pour stimuler l’embauche des seniors dans les entreprises de plus de 300 salariés (sur le modèle de l’index égalité professionnelle) permettra sûrement de réduire le chômage des actifs en fin de carrière, mais pas forcément de développer leurs compétences. En effet, l’idée d’index s’imposant comme une contrainte, il peut mener à une forme de placardisation.

Que faire ?

Les mentalités étant, ainsi que l’on a vu, le principal obstacle à la formation et donc à la compétitivité des seniors, il faudrait en premier lieu les changer pour assurer l’inclusion des seniors dans l’emploi. Pour cela, il est impératif (et urgent) de former les RH et les managers à la gestion des seniors.

Oui, il est rentable de miser sur la formation des actifs en fin de carrière car, après 55 ans, il est extrêmement peu probable que le collaborateur, fragilisé dans son employabilité, quitte l’entreprise avant d’avoir atteint l’âge de la retraite. Dès lors, il peut être paradoxalement plus avantageux pour un employeur d’investir sur la formation d’un senior que sur la formation d’un employé plus mobile.

Oui, les seniors sont encore capables d’apprendre. Les neurosciences prouvent que les personnes plus âgées continuent à remodeler leur cerveau en permanence au gré de leurs apprentissages par le phénomène de la plasticité cérébrale, commune à l’ensemble des êtres humains. Cela signifie qu’ils restent perméables aux nouvelles informations et que les nouvelles expériences laissent toujours une trace dans leur mémoire. Cette plasticité s’entretient néanmoins et c’est pourquoi il est nécessaire de construire à la fois matériellement et culturellement une société apprenante, afin de maintenir les cerveaux des actifs pleinement opérationnels jusqu’à la fin de leurs carrières. 

Quelles options pour la formation professionnelle ?

Pour construire une société apprenante, il convient d’adapter l’offre de formation aux actifs les plus âgés, et veiller notamment aux pédagogies mises en place.

Les seniors, parce qu’ils travaillent depuis plus longtemps, ont logiquement accumulé davantage d’expérience. Celle-ci peut être valorisée dans des échanges basés sur l’intelligence collective (exemple de la pairagogie). La valorisation des stagiaires est en effet un levier efficace de motivation et d’implication dans l’apprentissage. 

Suivant la même logique, le senior peut également être placé en position de mentor pour lui faciliter l’acquisition de nouvelles connaissances. Selon la pyramide de l’apprentissage établie par le psychologue Kurt Lewin, le taux de rétention moyen des stagiaires atteint ainsi son maximum dans le cas où ce dernier est mis à contribution pour former les autres participants.

Les seniors peuvent également bénéficier du reverse mentoring (ou « mentorat inversé ») qui leur permet de créer du lien avec un salarié plus jeune et surtout de bénéficier d’une formation personnalisée.

D’une manière générale, cette personnalisation, plus respectueuse de leur rythme et de leurs modes privilégiés d’apprentissage (livre, conférence, vidéo, etc.) quelquefois très différents des rythmes et modes d’apprentissage des autres stagiaires, est certainement la clé de l’inclusion des seniors dans la formation continue. Elle a en effet pour triple avantage d’accroître l’intérêt, la motivation et l’ancrage des nouvelles connaissances/compétences.

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